Histoire-s de Noël, histoire-s humaine-s

Prédication du matin de Noël sur le texte de l’évangile de Jean, chapitre 1, versets 1-18, dont voici un tout petit extrait:

« Au commencement, la Parole existait déjà. La Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. En elle se trouve la vie, et la vie est la lumière des hommes.
Et la Parole s’est faite homme, elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité. »

Noël, c’est le temps par excellence des histoires qu’on raconte au coin du feu.

Noël, c’est d’abord dans nos représentations l’histoire d’un bébé né dans une crèche, une histoire d’anges, de bergers, d’étoile, de rois mages… des histoires qu’on trouve dans nos Bibles, que la tradition a un peu étoffées au fil des siècles, et dans lesquelles nous recherchons un peu de lumière et de magie, au milieu de la morosité ambiante. Des histoires qui ré-enchantent le monde, au moins le temps d’un Noël.

Alors, évidemment, au petit matin de Noël, alors que nous sommes encore tout enivrées de la douceur de nos veillées – et peut-être d’un petit verre de vin chaud – l’évangile de Jean sonne un réveil un peu brutal. Adieu féerie des contes, bonjour traité philosophique !

La magie des histoires de la nuit de Noël semble déjà loin… et pourtant…

Et pourtant, Jean, comme les autres rédacteurs des évangiles, nous raconte une histoire qui enchante le cœur et l’âme, merveilleuse et toujours miraculeuse : celle de la vie qui surgit. Jean raconte l’histoire de la vie qui se donne à voir. Le mystère de l’invisible devenu visible et tangible. Il dit le lien intime qui relie l’humanité à sa part divine. Il raconte comment la vie éternelle devient possible dans un monde de ténèbres où toujours menace la mort.

Une histoire de toujours, une histoire de tous les jours.

Et comme toute bonne histoire, celle de Jean commence par le début : « Au commencement, la parole existait déjà. » Le fondement de toute chose, ce sur quoi tout repose et ce vers quoi on revient toujours, c’est la parole. Et cette parole, nous dit Jean « était avec Dieu et la parole était Dieu. En elle il y avait la vie ».

Vous l’avez évidemment compris, « parole » – logos, en grec – dans la bouche de Jean signifie plus que le simple langage. Ce n’est pas juste « blabla » ou mots vides de sens. La parole, c’est un tout, une pensée, une idée réfléchie.
Ce terme que Jean emprunte à la tradition de la sagesse juive dit aussi la capacité de réflexion, la compréhension de celui qui porte la parole, et du coup révèle quelque chose de son identité, comme de l’identité de celui ou celle qui entendra à son tour cette parole.

La parole ouvre à la relation, aux interactions. Et si comme Jean nous croyons que cette parole vient de Dieu et qu’elle est Dieu, alors on entrevoit le possible espace de résonnance entre parole divine et paroles humaines.

Ainsi comprise, la parole n’est jamais figée, elle n’est pas un dogme à vénérer, elle n’est pas immuable, au contraire, elle est circonstanciée, elle s’interprète à la lumière des raisonnements et expériences de ceux et celles qui l’échangent et la questionnent. Et c’est en cela qu’elle contient la vie.

Et comble de l’enchantement, cette parole n’est pas une idée abstraite, mais un homme qui a habité sur terre, Jésus de Nazareth.

Voici le lumineux paradoxe qui donne toute l’épaisseur à la foi chrétienne : cette parole qui était auprès de Dieu – et qui en même temps était Dieu – et bien cette parole n’a dans le monde d’autre visage que celui d’un homme.

Le Dieu jusqu’alors insaisissable, inaccessible se donne à connaître dans la fragilité humaine. Dieu prend chair dans une existence éphémère et mortelle.

« Et la parole s’est faite homme, elle a habité parmi nous »
Et le monde en a été bouleversé !

Voici l’histoire de Noël ! Voici la bonne nouvelle de Noël ! La bonne nouvelle ou l’évangile tout court : la confession d’un dieu à notre portée humaine, que nous savons désormais possible de connaître à travers la vie de l’homme de Nazareth, à travers son action et son enseignement, résolument tourné vers ce que les hommes et les femmes qui ont croisés sa route ont de beau et de sacré.

Cette bonne nouvelle se raconte – se vit, se partage, se chante et nous enchante – depuis 2000 ans, grâce à celles et ceux avant nous qui ont cru en sa vitale pertinence et l’ont à leur tour donnée à vivre plus loin.

Une histoire à mettre en lumière

Une histoire lumineuse, mais qui court toujours le risque d’être tue dans l’ombre.
Nous connaissons l’actualité, la soif de pouvoir, la montée des extrêmes. Nous connaissons l’indifférence, l’injustice, la parole reniée.
La force des ténèbres du monde est réelle, tout comme l’opacité de nos résistances et de nos inconforts personnels. « La lumière brille dans les ténèbres… mais les ténèbres ne l’ont pas acceptée. »

Oui, c’est malheureusement une histoire de toujours, une histoire de tous les jours… mais ce n’est certainement pas l’histoire d’une fatalité.
L’histoire de Noël raconte comment les ténèbres peuvent être débusquées et peu à peu grignotées… en revenant au fondement, comme l’évangéliste Jean nous l’a décrit au début de son histoire : à la parole, ce moment ou humain et divin œuvrent en chœur pour un possible meilleur.

La surprise qui nous est faite à Noël d’une parole incarnée, vient à nous les bras chargés d’une grâce qui abonde, « grâce sur grâce » nous dit le texte ! C’est la promesse d’une vie ample puisque nous n’avons plus à compter que sur nous-mêmes ou sur nos seules ressources.
Ce que nous sommes, nous l’avons d’abord reçu. Le monde, nos amis, nos enfants nous sont « prêtés » le temps d’une vie et nous avons la responsabilité d’en prendre soin. De même, nous avons la responsabilité de partager la parole et de l’annoncer aussi dans la nuit du monde.

Une histoire à écrire, toujours, tous les jours

La rencontre de Dieu avec les hommes et les femmes de la terre est un immense cadeau qui implique une sacrée responsabilité.

À la suite de Jean, me réclamant témoin de cette bonne nouvelle, j’ai pour mission de faire surgir de la vie dans tous les aspects et les relations de mon existence.
Qu’est-ce qui dans mes choix personnels ou professionnels, dans mes décisions, dans mes engagements permet à la vie de surgir ? Dans quelle solution y a-t-il le plus de vie ? Et si j’osais affronter sans détourner le regard ces situations où la vie est dénigrée ?

C’est une histoire de toujours, une histoire de tous les jours.
Une histoire qui se raconte avec nos mots humains, à travers nos actions et nos présences.
Il n’y a pas de plus claire manière de dire le cadeau de la grâce qu’en écrivant, racontant et partageant des histoires de vies humaines…

Il était une fois Ziadna, un chauffeur de bus bédoin qui a risqué sa propre vie sous la menace des balles pour secourir de jeunes israéliens pris dans les attaques du Hamas. « J’avais la possibilité de reculer. Un homme plus faible aurait peut-être fait demi-tour à ce carrefour – raconte-t-il – Mais j’ai dit non ! Plutôt mourir si cela signifie que je peux sauver des vies. »

Il était une fois vous et moi… qui aux petites intersections de nos quotidiens choisissons le détour par la vie de l’autre. Et sans que cela ne nous coûte quoi que ce soit de notre propre vie, nous avons peut-être bien, par nos sincères attentions, sauvé une autre vie en perte de sens ou de présence.

Il était une fois toutes ces histoires de vie où la grâce surgit. Sous des traits inattendus, pleine de surprise. Et où nous l’avons accueillie. Et qui sait ? Comme le disait l’apôtre Paul, peut-être avons-nous même ainsi reçu chez nous sans le savoir des anges…

Voici Noël ! Et nous voici, au commencement d’une merveilleuse histoire qui chante et ré-enchante le monde : « Il était une fois vous, moi, elles, visages de Dieu dans le monde ! »

Amen

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