Prédication prononcée le 18 mai 2025 au temple de Sombeval à l’occasion de l’installation* de la pasteure Séverine Schlüter et de l’accueil de Alain Wimmer dans la paroisse de Sonceboz-Sombeval.
Lectures bibliques: évangile de Marc, chapitre 1, versets 14-20 et Apocalypse, chapitre 25, versets 3-5
Deux pour le prix d’un? Mieux que ça!
Deux pasteurs pour le prix d’un ! Bien joué la paroisse de Sonceboz !
Mais ce n’est pas une promotion au rabais que vous fêtez aujourd’hui ! Aujourd’hui nous célébrons l’arrivée de deux professionnel·e aux expériences et compétences avérées, avec des atouts tout particuliers pour l’une comme pour l’autre.
Séverine, tu apportes dans cette paroisse ton envie d’aller à la rencontre, de rassembler – tant les personnes que les points de vue. Tu as pour ambition de mettre ta créativité au service des activités.
Encore en phase de « rodage », dans la découverte du fonctionnement de l’église Refbesuso, un peu différent de celui de l’Église neuchâteloise, déjà tu te sens à l’aise et portée par des projets auxquels tu as pris part, comme les festivités autour de Pâques.
Alain, tu te décris comme le « régional de l’étape », tu es ici dans ton coin de pays, tu connais bien l’esprit de la région. Tu pratiques la collaboration au sein des paroisses de l’Erguël depuis quelques années maintenant. Pasteur à Sonvilier et maintenant à Sonceboz-Sombeval, bâtir des ponts entre le haut et le bas t’apparaît comme un défi réaliste !
Nous avons entendu tout à l’heure le récit de l’évangile Marc : l’annonce de l’Évangile, c’est bien une affaire collective. Et ici, vous êtes bien entourés : professionnels, bénévoles, musiciens, collaborateurs engagés.
Deux pasteurs donc, deux personnalités, UNE même passion partagée pour … les cartes ! Le stöck ou le chibre, si vous préférez.
Et permettez-moi : ça c’est carrément la base ! Jeu d’alliance, de risques, d’attention, d’écoute, de mémoire aussi. Faire confiance à son partenaire, alors qu’on n’a pas toutes les cartes en main…
Oser la partie
Se lancer dans une partie en sachant qu’on ne maîtrisera pas tous les aspects du jeu, c’est ce qu’ont fait en quelque sorte les premiers appelés de l’évangile de Marc : ils acceptent de suivre Jésus, misant sur « la Bonne Nouvelle » mais ne sachant pas vraiment encore ce que ça pourra signifier et impliquer pour eux. Ils n’avaient pas toutes les réponses. Ils n’avaient pas de plan. Ils ont juste « senti » que leur place était là.
Séverine, ta place est ici aujourd’hui. Et même si vous avez probablement pris un peu plus de temps que Pierre ou André pour faire vos cartons, le pas que vous avez franchi avec ta famille n’en est pas moins courageux. Vous avez quitté une région, une Église, des collègues, une vie tissée d’amitié, pour répondre à ce besoin qui est le vôtre de nouveaux défis, de renouvellement professionnel, dans ce cadre nouveau.
Et cette installation devient aussi, pour chacune et chacun d’entre nous, une occasion de nous reposer à notre tour sincèrement la question de notre engagement.
Car les défis sont là, il peut y avoir du doute dans l’air. Du découragement.
Regarder la situation avec lucidité
Loin de moi l’idée d’obscurcir la fête aujourd’hui. Mais il me semble essentiel, dans des moments comme celui-ci, non pas de nous satisfaire en nous congratulant parmi pour tout ce que nous faisons bien, mais au contraire : de faire preuve de lucidité collective pour réfléchir ensemble à la manière d’affronter les défis qui nous attendent :
Nos contemporains cherchent du sens, oui, et du lien. Mais ils ne franchissent plus spontanément la porte d’un temple. Ils cherchent une parole vraie, un espace d’intériorité — mais sans étiquette religieuse, merci.
L’Église comme institution traverse une crise multiple : perte significative de membres, de repères parfois, elle est fragilisée par certains scandales ou contestée pour quand elle prend position sur des sujets de société.
Aujourd’hui, la religion institutionnalisée suscite des crispations dans le grand public. Par crainte d’ingérence ou de prosélytisme, toute parole portée par une Église est vite suspectée. On brandit une sacro-sainte laïcité — dont personne ne semble vraiment comprendre le sens — pour reléguer les Églises à un rôle de pourvoyeuses de divertissements ou de réconfort symbolique.
L’Église est en crise — nous le disons depuis longtemps. Mais aujourd’hui, ce constat devient palpable. N’avons-nous pas atteint un point de bascule, que même nos indispensables réorganisations ne peuvent plus masquer ?
Je vous donne pour exemple ma paroisse : l’an prochain à Bienne, il y aura zéro confirmand. Voilà. C’est dit. Un signe parmi d’autres.
Face à cela, la tentation est grande de nous replier sur les membres qui restent fidèles, et de devenir une Église de petits cercles rassurants.
Mais ce serait alors trahir notre vocation. Nous sommes appelés à être une Église multitudiniste, c’est-à-dire tournée aussi vers celles et ceux qui sont loin, au seuil, dans les marges.
Bon, et maintenant ? Il se passe quoi ?
L’Apocalypse, Mesdames et Messieurs !
Pas l’apocalypse des météorites ou des zombies façon Netflix. Non. Je parle de celle de la Bible — ce dernier livre de la Bible dont on s’approche assez peu…
Parfois, il est nécessaire de se confronter aux choses ultimes…
Et que trouve-t-on dans ses pages ? « Maintenant la demeure de Dieu est parmi les hommes. Maintenant, je fais toutes choses nouvelles ! »
Eh bien voilà ! On change tout ! Nouvelle organisation, nouveau logo, nouvelle gouvernance… Et pourquoi pas un nouveau slogan, tant qu’on y est ?
Mais… on n’a pas déjà essayé, tout ça ?
Sérieusement, si j’ai choisi de nous confronter à ce passage, c’est parce qu’au milieu de toutes nos incertitudes — celles de notre avenir comme celles du texte lui-même — il me semble y lire un appel à ne pas baisser les bras. Toute chose nouvelle sera possible… à travers nous, puisque c’est dans notre humanité que nous confessons la présence de Dieu, sa demeure.
Au bout du bout, comme au commencement de l’évangile, il y a un appel : ce même appel à lâcher nos filets — ces nœuds d’orgueil, d’immobilisme, de peur.
Un appel à réessayer encore et à se dire que si nos entreprises n’ont pas marché jusqu’ici, c’est peut-être que nous n’avons pas encore osé aller jusqu’au bout… ou que nous ne sommes pas encore revenu à l’essentiel…
Revenir à l’essentiel… revenir au monde
Souvenons-nous : l’institution Église n’est pas là pour durer à tout prix. Elle est là pour servir.
Nous ne sommes pas là pour défendre une structure, mais pour créer des espaces de parole vraie. Des espaces où l’on peut écouter, espérer, mais aussi nommer ce qui blesse, ce qui abîme l’humain. Des lieux où l’on peut redonner de l’humanité, et en même temps dénoncer tout ce qui la nie ou la piétine.
Quand les auteurs bibliques racontent que Jésus entre dans le Temple et renverse les tables, ce n’est pas un geste symbolique pour lancer une retraite spirituelle.
C’est un acte de résistance face à ce qui dérive.
L’Église n’a pas à soutenir de parti politique, certes. Mais elle a une parole à poser.
Sur la dignité des personnes migrantes.
Sur l’urgence écologique.
Sur la fracture sociale, la souffrance des jeunes, la banalisation de la haine.
Et aujourd’hui, elle ne peut se taire sur ce qui se passe à Gaza. Ni sur ce qui se passe dans tous ces lieux où des vies humaines sont écrasées. Se taire serait renoncer à l’Évangile. Dire quelque chose, c’est déjà résister.
Et cette parole engage. Elle nous envoie. Non pour avoir réponse à tout, mais pour être là.
Là où les gens vivent. Là où la vie se joue.
Cela veut dire : ne plus attendre que le monde pousse la porte de nos églises, mais aller là où il vit. Pas pour « religionner » ou ramener dans les rangs, mais pour être présents là où ça fait mal, là où ça cherche, là où ça espère sans le dire.
Nous aménager à nous, gens du dedans, des portes de sortie, pour rejoindre l’autre sur son terrain. Cela veut dire aussi : entendre sa réalité, son mode de vie.
Beaucoup ne veulent plus un abonnement à nos activités d’église. Mais ils sont prêts à goûter ponctuellement à l’Évangile. Soyons là pour eux, sans dénigrer ces petits bouts de foi.
Certains viendront parce que l’activité et l’horaire rend bien service : où est le problème ? Proposons encore plus d’activités qui rendent service ! Que risquons-nous, si ce n’est qu’ils y trouvent du plaisir, du sens et reviennent !
Être présents là où les gens vivent vraiment. Comme Jésus est allé trouver ses disciples là où ils étaient, au milieu de leur vie. C’est là que tout recommence.
Et cela pourra se concrétiser avec toute la créativité qui est la nôtre.
Parfois, il faut voir grand, oser des gestes fous : un train fantôme dans une église…
Parfois, il faut faire petit, discret, presque fragile : un café autour duquel on peut parler ou simplement se taire.
Mais dans tous les cas, faisons-le justement, authentiquement, humainement.
Libérés de l’injonction de l’originalité à tout prix, ne craignons pas non plus de faire moins, mais faisons bien et à la bonne place. Et surtout : que cela ait du sens.
Le véritable enjeu, c’est d’être lisibles. Accessibles.
Il ne s’agit pas de tout réinventer.
Gardons ce qui fait notre force, et ayons le courage de le dire.
Nous savons accompagner. Offrir des temps qui marquent. Nous sommes bientôt les seuls à organiser encore des camps pour les jeunes : nous sommes formés pour cela. Disons-le ! Valorisons ce que nous savons faire, non pour nous glorifier, mais pour nous positionner comme des partenaires crédibles, fiables et utiles dans la société.
Chère Séverine, cher Alain, chers collègues, ce n’est pas facile d’être pasteur maintenant !
Chère communauté, ce n’est pas facile d’être des croyants engagés, maintenant.
Ce n’est même pas facile d’être humain aujourd’hui, tant nous sommes à un point de bascule et que nous ne savons pas ce que demain sera.
C’est justement pour cela que le monde a besoin de nous, église humaine, faites de visages qui tiennent debout — non parce qu’ils auraient réponse à tout – mais parce qu’ils refusent de renoncer.
Du début à la fin de l’évangile, de l’appel des pêcheurs à la vision de l’Apocalypse, il s’agit toujours de ça : répondre, avancer, témoigner d’un autre demain possible.
Jouer notre part
Aujourd’hui, nous installons une pasteure. Mais en réalité, c’est toute l’Église qui se remet en route.
Il est temps pour nous de retrouver l’audace joyeuse d’une bonne partie de chibre : oser, risquer, faire confiance. Même sans tous les atouts en mains.
Jouer — non pour vaincre le monde — mais pour faire avancer l’humanité.
Avec nos ratés, nos rires… et parfois un petit coup de génie.
Et quand on ne sait plus quoi faire ? On brasse. On relance. On reste en jeu.
Car le plus important, ce n’est pas de tout réussir. C’est de rester dans la partie.
Amen
Notes
Une installation en église est le moment officiel lors d’un culte où l’on témoigne qu’une personne est « prêtée » pour un temps indéterminé à une paroisse, une région. L’installation implique des engagements mutuels entre la personne installée, les autorités paroissiales, les collègues et la communauté.
Sombeval, le 18 mai 2025