Hosanna!

Prédication prononcée le 24 mars 2024 à l’occasion du dimanche des Rameaux à l’église du Pasquart à Bienne.
D’après le texte narré de l’évangile de Marc 11,1-11

Hosanna !

Le voici! « Hosanna » scande joyeusement la foule rassemblée ! « Hosanna » ! Littéralement « sauve-nous » en hébreux ! Le voici celui qu’on attendait tant : le messie, le sauveur, celui qui allait libérer de l’oppression romaine et rendre au peuple juif sa dignité et sa souveraineté !

Et à la suite cette foule, nous aussi nous aurions envie de crier notre joie – alors oui, à notre manière toute protestante – mais peu importe le volume de nos cris, nous voudrions, nous aussi, nous réjouir de cette bonne nouvelle !

Mais pourtant…

Un voile sur la fête

Il y a quelque chose qui nous retient de nous laisser aller complètement. Un petit malaise, comme une boule à l’estomac, qui s’installe. Comme un voile posé sur notre fête…
Qu’est ce qui peut bien nous empêcher de nous laisser aller à cette bonne nouvelle ?

Et bien peut-être parce que toi, vous et moi savons ce qui va se passer ensuite. Nous savons de quoi seront fait les lendemains…
Nous savons que la foule en liesse deviendra foule en fureur. Nous savons que Jésus, aujourd’hui entouré de tant d’espoir se retrouvera progressivement seul, isolé. Nous savons qu’après l’invitation « Hosanna – sauve-nous », viendra l’heure des railleries : « sauve-toi toi-même, descends de la croix et nous croirons en toi ! »

Ainsi se dessine l’horizon de la semaine sainte : une foule, tout comme tant d’autres, prompte à passer de l’enthousiasme du « oui » à la violence du « non ». »

Nous savons ce qui va se passer : l’humiliation, la souffrance, l’abandon, la trahison, la mort… ce n’est audible, ce n’est pas acceptable. Nous aimerions – nous espérons une autre suite. Et pourtant, on sait…

Tout comme je sais qu’à la fin du film Titanic, Jack va mourir. Et bien figurez-vous que ça ne m’empêche pas – à chaque visionnage – d’espérer et de parfois croire que cette fois, ça finira autrement. La collision avec l’iceberg n’aura pas lieu, le paquebot ne coulera pas, Jack ne mourra pas. Lui et Rose vivront heureux avec de nombreux enfants autour d’eux !

Aller au bout de l’histoire

Mais voilà. L’histoire est à chaque fois telle qu’elle doit être. Elle fait sens ainsi. Titanic n’est pas un conte de fée. Et l’évangile, cette Bonne nouvelle qui se tisse au fil de la rencontre de Dieu avec ceux qui croient en lui, n’est pas un conte de fée. L’évangile est aussi histoire humaine. 

Et c’est pourquoi, on se gardera bien d’accabler la foule inconstante : non seulement elle nous ressemble, mais encore, à lire l’Évangile, il semblerait que Dieu préfèrent nos élans « tout feu tout glace » à la tiédeur d’un autre protagoniste de l’histoire, Ponce Pilate, l’homme rivé à son pouvoir.

La vérité et la justice exigent de celles et ceux qui les réclament de prendre position, de choisir leur camp, d’affirmer leurs valeurs… même si leurs peurs les poussent parfois à en changer parfois du jour au lendemain. L’Évangile ne s’accomode pas des mains lavées.

L’Évangile nous encourage à dire nos convictions, notre message, notre espérance, même si nos actions, paroles et prières restent toujours fragiles, changeantes, fluctuantes.

Et justement, ce sont peut-être bien nos propres limites qui mettent un voile sur ce jour de fête : nous aimerions sincèrement faire plus, faire mieux. Mais voilà que notre volonté de perfection nous empêche même parfois carrément d’agir : « on fera ça quand ça sera vraiment parfait »… et en attendant…. il ne se passe rien.

La perfection n’est pas de ce monde ! Nous en accablons le ciel, ou alors nous attendons justement du ciel qu’il rétablisse la perfection !

Et là est le malentendu qui voile le regard de Jésus d’amertume.

Jésus, bien avant le cortège des rameaux, bien avant nous, sait ce qui va se passer. Lui qui provoque la rencontre avec la foule, lui qui vient jusqu’à Jérusalem, qui met en scène son entrée triomphale…. Sur un ânon… emprunté… voyez comme la scène nous a été narrée tout à l’heure : ce grand gars, sur ce petit âne, avec les jambes qui touchent par terre, balloté de gauche à droite…

Jésus sait le chemin qui se noue jusqu’au Golgotha. Il sait l’histoire du roi. Il est l’histoire du roi sans rien qui a dû emprunter et rendre le bien de quelqu’un d’autre pour tenir jusqu’au bout.

Tout au long de son ministère, l’homme venu de Nazareth a été proche de ceux qui peinent, de ceux qui manquent. Il sait donc que leurs attentes sont expression d’une souffrance réelle. Et il sait aussi qu’il ne répondra pas comme attendu à cette foule qui espère un Messie, un sauveur politique.

Le pouvoir romain restera en place. Le temple – lieu de la présence de Dieu en son saint des saints – sera détruit.
La libération se jouera sur un autre plan…

Mais cela, ni la foule des Rameaux, ni nous, ne pouvons le comprendre aux portes de Jérusalem. Il nous faudra aller jusqu’au bout de l’histoire pour saisir le sens et les implications concrètes de cette bonne nouvelle sur nos vies.

Dévoilées…

Il nous faudra nous tenir au pied de la croix pour comprendre – avec le centurion romain – que l’homme accueilli triomphalement aux Rameaux est celui qui révélera le vrai visage de Dieu parmi les hommes  – celui de l’amour, des relations saines, tissées en toute lucidité et honnêteté – pour que la vie l’emporte sur la mort et qu’une lumière se lève au milieu de la nuit humaine.

Il nous faudra aller jusqu’au bout de l’histoire pour comprendre que le Dieu que l’on accueille aux Rameaux est celui qui ose se libérer de nos attentes humaines en se dévoilant dans le visage de celles et ceux qui nous entourent.

Il nous faudra aller jusqu’au bout de l’histoire pour nous savoir aimés sans condition, reconnus jusqu’au bout des ongles pour ce que nous sommes.

Et comprendre qu’à partir de là, nous pouvons à notre tour nous dévoiler aux autres, tels que nous sommes.
Nous pourrons alors accueillir courageusement l’entier de l’histoire, sans vouloir en changer la fin.

Nous pourrons accueillir l’imperfection, la faiblesse et la fragilité. Celle de la foule, la nôtre. Nos petits élans de foi, nos petites espérances, …

Mettre à nu nos fragilités. Ne pas abuser de celles des autres.
Risquer un peu de ce que nous sommes. Ne pas faire trébucher celui qui se risque.

Un morceau de tissu par terre, puis un autre, le chemin vers la vie signifiante se dessine. Il n’est pas clinquant tapis rouge ; il est simplement tissé de nos brins imparfaits d’humanité.

Et là est la raison de notre pleine, juste et entière joie! Hosanna !

Mouiller sa chemise, risquer de se dévoiler aux autres…

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