Réveiller les vivants!

Prédication prononcée le 3 avril 2022 en la Collégiale de Moutier, 5e dimanche du temps de Carême
Texte biblique: évangile de Jean chapitre 11, versets 17-45

En retard ! Il est en retard ! Quand Jésus arrive à Béthanie, Lazare est mort depuis quatre jours déjà ! On peut facilement comprendre les reproches que Marthe et Marie lui adressent : si Jésus s’était un peu dépêché, il aurait pu guérir leur frère Lazare avant qu’il ne soit trop tard et qu’il meurt.

Mais Jésus n’était pas là…

Et d’ailleurs, il est où quand ceux que j’aime sont malades, il était où quand cet ami est décédé ? Il est où quand les bombes tombent sur des civils ?

Au moins, pour Marthe, Marie et Lazare, les choses finissent bien ! Mais pour nous ? Pour ma part, je n’ai jamais été témoin d’un miracle aussi spectaculaire, aussi grandiose que celui-ci. Jésus qui s’approche de la tombe d’un mort, qui exige qu’on lui ouvre le tombeau et qui crie d’une voix forte :

« Lazare, sors de là ! » Et Lazare sort !… C’est tout ? Je vous ai annoncé du spectaculaire pourtant… Pas de formules magiques ? Pas de geste abracadabrantesque ?

Non, dans ce récit, Jésus se contente d’accompagner Marthe et Marie dans leur douleur, il adresse quelques mots tout simples, tout humains. Et pourtant tout change ; tout devient différent pour cette famille, rien ne sera plus comme avant à cause de… ou grâce à une présence et quelques mots. Sacré miracle !

Une présence et quelques mots: sacré miracle!

Comme dans tous les récits de miracle du nouveau testament, ce signe rapporté ici par Jean a ceci de particulier : l’acte en lui-même est d’une banalité, d’une humanité complète : parler, appeler. Comme pour signifier que ce n’est pas tellement le geste qui importe, ni même d’ailleurs de savoir si c’est vraiment possible, si ça s’est vraiment passé comme ça. Ce qui importe dans ces récits de miracle du Nouveau Testament, ce sont les réactions des témoins et les conséquences : l’aveugle rejeté de la société y retrouve une place, une femme retrouve sa dignité, Marthe et Marie coincées dans leur chagrin retrouvent une raison de vivre.

Le signe rapporté ici nous en dit bien plus sur Jésus et sur nous-mêmes que le seul fait qu’il soit capable de ressusciter un mort : le texte nous montre que Jésus sait aussi ressusciter les vivants !

Revenons un peu à notre histoire.

Lazare était malade, il est mort. Marthe et Marie, ainsi que leurs proches sont dans le deuil. Marthe connaît Jésus, elle sait de quoi il est capable : il aurait pu guérir son frère de son vivant – comme il venait de guérir un aveugle juste avant. Ça, elle en est sûre, elle a foi en cela. Mais Jésus n’était pas là. Au moins, elle en est convaincue, elle y croit profondément : « je sais que mon frère reviendra à la vie lors de la résurrection des morts, au dernier jour ».

La croyance en la résurrection des morts à la fin des temps est une conviction pressante pour les Juifs et les premiers chrétiens. Paul en parle dans sa première lettre aux Thessaloniciens : il nous décrit avec beaucoup de brio l’ouverture des tombeaux au son de la trompette de l’archange, il imagine les vivants, ceux qui ne sont pas encore morts, qui s’élèvent dans les nuées à la rencontre du Seigneur !

La vie éternelle, ça commence maintenant!

Mais voilà ici que Jésus apporte une correction de taille à la conviction de Marthe : « Je suis la résurrection et la vie ». Un « je suis », au présent, éclate là où Marthe ne voyait qu’une espérance pour le futur « au dernier jour ». Ce « je suis » nous fait dire : la résurrection, c’est maintenant que ça se passe !

Comme une nouvelle donne : « Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi vivra, même s’il meurt. Et celui qui vit en moi ne mourra jamais ». La résurrection n’appartient pas à un futur lointain, elle a lieu ici et maintenant.

La « vie éternelle » – pour reprendre les mots de l’évangéliste Jean – commence maintenant dans notre existence historique et même la mort naturelle ne brise pas cette relation. Quand l’évangéliste met ces mots dans la bouche de Jésus : « Ton frère ressuscitera », cela signifie que la mort n’est pas indépassable ; au contraire, un avenir de vie, débordant la mort nous est ainsi promis, ici, au milieu de notre humanité.

Et la résurrection, c’est dans la rencontre  – ici avec l’homme de Nazareth – qu’elle advient, dans la conviction que ce sont bien nos manières d’être en relation avec nos semblables qui donnent sens et saveur à la vie. Une vie qui n’est alors plus définie seulement par les impératifs physiques ou biologiques, mais bien par toutes les interactions qui tissent le parcours de nos existences.

Jésus n’est donc pas un sauveur qui accomplirait des actes défiant les lois de la nature. Jésus se révèle comme celui qui ne réduit pas l’humain à sa seule dimension naturelle, mais qui considère que la mort sociale, relationnelle, spirituelle est on ne peut plus grave, et doit être vaincue sans attendre.

L’évangile n’a de cesse de nous montrer, à travers les rencontres et les manières d’être en relation de l’homme de Nazareth que la promesse d’une vie « où l’eau coule au milieu des terres arides », comme la décrivait le prophète Esaïe, d’un avenir pour l’être humain au milieu de la sécheresse du monde est possible.

Lorsque nous confessons un Dieu qui s’est fait homme en la personne de Jésus pour souffrir une vie et une mort humaine, lorsque nous confessons sa résurrection au matin de Pâques, cela engendre une nouvelle manière d’appréhender l’existence : la « vie éternelle » advient, dans notre quotidien tout humain, tout banal, non pas par des miracles ou des manifestations surnaturelles, mais bien par nos mains, par nos cœurs, par nos intelligences. 

Réveille-toi à tes responsabilités!

Voilà ce qu’implique de confesser un Dieu qui partage notre condition d’hommes, de femmes : le rappel à nos possibilités et à nos responsabilités humaines.

Dans une vie marquée par cette relation à l’homme de Nazareth, je ne suis désormais plus jamais seule, ni dans mes peines ni dans mes difficultés : l’évangile nous rapporte que Jésus a pleuré avec ses amis.

Désormais, nous savons que nous avons assez de volonté, de capacités et de ressources autour de nous ou en nous, pour me permettre de réinvestir le présent, de nous y épanouir, de nous y engager.

Relever la tête, arrêter de nous regarder le nombril, sortir du tombeau de nos petites rancunes, regarder ceux qui nous entourent dans les yeux, ça, nous pouvons le faire, et ça, c’est vivre la résurrection au présent.

Pas question de juste attendre passivement cette fameuse résurrection à la fin des temps que nous parvenons à peine à expliciter avec nos mots humains ; là-dessus, nous n’avons pas prise. Nous pouvons seulement l’espérer.

Croire que la résurrection advient aujourd’hui n’est pas sans conséquences. C’est une conviction dont nous sommes tenus de témoigner du milieu de nos vies.

Et nous pouvons commencer, de manière toute simple, en prenant tout particulièrement soin de nos relations, en nous investissant complètement avec tout ce qui fait de nous celui ou celle que nous sommes. C’est au cœur de nos échanges, de nos interactions que nous goûtons à la « vie éternelle ». Nous devenons alors être des manifestations on ne peut plus vivantes de Dieu pour les autres, comme eux le sont pour nous.

Croire que la résurrection advient aujourd’hui, nous engage à nous tourner vers ce qui permet la vie. Est-ce que mes choix, mes engagements, mes mots, mes gestes permettent à mes semblables d’avoir de la place pour s’exprimer, de grandir, d’avancer dans leur existence ?

Manifester notre présence à celui qui pleure, donner de notre force à celui qui peine à se relever. Permettre à l’autre de sortir du sentier étriqué de sa colère ou de sa résignation avec des paroles encourageantes et même avec parfois le petit coup de pied au derrière qui s’impose !

Ne pas fermer les yeux ni se résigner face à la douleur du monde, ne pas tenir pour acquis ce qui divise ou nie l’humanité de nos frères et de nos sœurs. Ne plus se taire, dénoncer ce qui doit l’être. Agir quand guettent les tentations de ne plus penser aux lendemains de nos semblables.

Plus efficace que n’importe quel élixir de jouvence, plus spectaculaire que n’importe quelle manifestation de puissance surnaturelle, notre humanité offerte et partagée témoigne de l’amour tellement fort de Dieu pour nous qu’il en réveille même les vivants !

Amen

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