Au boulot !

Prédication prononcée à Grandval, le 1e mai 2022, jour de la Fête du travail.
Lectures bibliques:

  • Ecclésiaste/Qohéleth , chapitre 1, versets 2-4
  • Lettre de Paul aux Romains, chapitre 12, versets 9-13
  • Évangile de Luc, chapitre 17, versets 7-10

Pourquoi donc travailler ?
Que recherchons-nous en travaillons ?
Qu’attendons-nous en retour de notre travail ?

Évidemment me direz-vous, on travaille pour gagner sa vie, pour avoir de quoi se nourrir, se loger, se vêtir et peut-être bien s’offrir des loisirs.
On travaille donc pour gagner de l’argent.
On travaille aussi parce qu’on aime ça, parce qu’on aime son métier.
Travailler permet de rencontrer d’autres personnes, de quitter un peu son foyer.
Travailler rythme le temps : d’une journée, d’une semaine, d’une vie.

Moi je suis toujours admirative de mes collègues pasteur.es qui une fois à la retraite continuent de travailler pour l’Église, de célébrer des cultes, etc. Et je me dis que, clairement, quand je serai retraitée, je ne travaillerai plus le dimanche !

Et pourtant… je ne suis pas sûre que je tiendrai le même discours dans 20 ans… parce que j’ai le sentiment que cette question de la motivation à travailler dit de nous encore bien plus que le légitime souci matériel ou le justifié plaisir qu’on retire d’avoir une activité.

Travailler, c’est donner un sens à notre vie humaine, c’est se donner l’impression de ne pas exister pour rien, d’être utile, de se sentir compter et d’avoir un impact sur la société dans laquelle nous évoluons.

Qu’est-ce qu’on gagne?

Parce qu’être des « serviteurs quelconques ou inutiles » comme l’écrit Luc dans sa parabole, ça ne nous plaît pas, avouons-le ! Personne n’a envie de servir à rien !

D’ailleurs, dans ce texte, il y a plusieurs choses qui ne nous font pas trop plaisir au premier abord… Non seulement, on y apprend que même en tant que serviteurs de Dieu on est inutile, mais en plus on y lit que travailler, c’est normal, et qu’on n’a pas à attendre une quelconque reconnaissance en retour !

Il me semble qu’il aurait été logique dans notre histoire que le serviteur soit convié par son maître à se reposer et à se mettre à table après une rude journée de travail aux champs. Tout effort mérite un temps de détente, non ? Une forme de récompense en retour, non ?

Cette logique qui est la nôtre est rejetée par une argumentation dans la bouche de Jésus tout à fait évidente : il est normal que le serviteur accomplisse le travail pour lequel il est embauché. Il n’y a aucune raison à ce que le maître exprime une reconnaissance particulière au serviteur qui ne fait que son devoir.

Alors concrètement dans le quotidien de nos vies, cela ne veut pas dire qu’on va arrêter de dire « merci » et de témoigner notre reconnaissance ! Nous n’arrêterons pas les petites attentions ou les repas pour les bénévoles à cause de cette parabole !

Témoigner notre gratitude est nécessaire. Discerner les raisons et occasions dans nos existences de dire notre reconnaissance est une manière de ne pas devenir blasé, de ne rien tenir pour acquis ou comme allant de soi. Cela nous rappelle la préciosité de la vie.

Et puis, chaque homme, chaque femme a besoin de reconnaissance, c’est naturel. Nous avons besoin de compter, nous avons besoin que notre valeur nous soit dite. Pas pour nous enorgueillir ou nous sentir supérieurs.

La reconnaissance témoignée, juste, sincère et bien placée donne sens et force pour avancer dans la vie.

Le texte ici ne nie pas ce besoin intrinsèquement humain, je crois. Il nous interpelle plutôt sur le sens et les valeurs de notre engagement, sur les motivations qui nous poussent à assumer la responsabilité d’une tâche.

Qu’est-ce que j’attends en retour de mon travail ? Des gains purement personnels ? De l’argent, un peu de pouvoir, un brin de gloriole ?

« Vanité, tout est vanité » me répondra l’Ecclésiaste !
« Servante inutile » me rétorquera Luc !

Les auteurs bibliques se rejoignent sur ce point : personne ne peut se prévaloir devant Dieu du travail qu’il accomplit. Je me permets quelques raccourcis pour dire en résumé que dans l’idées de l’Évangile: puisque nous sommes créatures de Dieu, que nous « appartenons » à Dieu, nous ne pouvons pas faire de lui notre débiteur! Tel un employeur, Dieu fournit et définit les tâches à accomplir pour chacune et chacun; il confie à ses collaborateurs un travail et des responsabilités. Et en retour, il promet, quoi? Rien!

C’est bien là que le texte vient se frotter à la logique de notre monde, qui plus est à celle du monde du travail.

Travailler et recevoir en retour un salaire, c’est la norme. Et plus encore, c’est devenu un critère qui nous définit en tant qu’individu, un critère qui mesure la valeur d’une vie sociale.

Dans notre société, tout travail n’est pas considéré comme un métier : l’éducation des enfants, l’entraide, le travail associatif ne sont que rarement rémunérés par un salaire, donc pas considérés comme tâches professionnelles. Ce n’est pas un métier que d’être parent, ce n’est pas un métier que d’être proche-aidant. Et pourtant, c’est un engagement essentiel, vital.
Aussi pénible ou joyeuse que soit la tâche non professionnelle, elle ne confère que trop peu de place sociale à celle ou celui qui s’en acquitte. Comme si ça ne comptait pas autant qu’un « vrai et bon travail bien rémunéré ».

Avoir un travail est indéniablement un critère de réussite de vie sociale, percevoir un salaire donne légitimité à l’existence. Et ce couple travail-salaire est bien souvent présenté comme le chemin d’accès au bonheur.

Mais alors que se passe-t-il pour celle qui se retrouve au chômage, pour le retraité, pour la femme au foyer, pour le réfugié dont les diplômes ne sont pas reconnus dans son pays d’accueil ? Notre mode de vie aujourd’hui n’accorde que peu de valeur aux personnes qui se retrouvent ainsi en marge du monde du travail rémunéré, récompensé par un salaire.

Travail et réforme

Et nous devons bien le reconnaître, cette conception selon laquelle la réussite d’une vie se mesure à l’aune du travail doit beaucoup aux réformateurs, et le protestantisme a peut-être des choses à se faire pardonner là-dessus…

C’est à Martin Luther qu’on doit la redécouverte de la valeur religieuse du travail. Pour lui en effet, on plaît à Dieu non pas par ascétisme, à l’image des moines fuyant le monde, mais en remplissant son devoir dans le monde, dans la profession où Dieu nous a placés. Ainsi, le travail est comme un « mandat » reçu par Dieu. Quel que soit notre métier, notre profession, il s’agit d’une « vocation », qui se traduit par le service de nos semblables et de la cité.

Accomplir son travail n’est pas une manière de gagner sa place au paradis, non! Il est évident pour les réformateurs, fidèles au principe de la sola gratia – la grâce seule de Dieu nous sauve – que le travail constitue une réponse au fait de se savoir sauvé. Débarrassé du souci de parvenir au salut par lui-même, le croyant peut désormais témoigner de sa justification par son action, en accomplissant sa « vocation », son service – toujours tourné vers son prochain – selon ses possibilités particulières, conscient qu’il ne saurait réaliser LE bien absolu – parce qu’il est un « serviteur quelconque » – mais qu’il saura produire DU bien, du bon autour de lui. En menant ainsi sa vie, le croyant exprime sa reconnaissance à son Dieu pour toutes les possibilités mises entre ses mains; il n’a donc aucun orgueil à tirer de ses propres œuvres.

Malheureusement, l’éthique du travail développée par les réformateurs, Calvin en particulier, va connaître quelque glissement et radicalisation au fil des siècles. L’éthique protestante du travail comme visée pour le bien commun, comme gain pour tous et chacun, va laisser place à une éthique matérialiste fondée sur le critère du seul plaisir, plaisir ensuite commercialisé par la société de consommation.

D’une réponse humaine à l’amour de Dieu, nous sommes aujourd’hui tentés de faire du travail un nouveau dieu, nouvelle mesure de la réussite de notre vie.

Travailler pour changer… le monde!

Il est donc urgent « d’être actifs et non paresseux » !

Les actuelles dérives et injustices du système, qu’elles soient salariales, sociales, éthiques, fondées sur le genre, doivent être dénoncées et des propositions nouvelles doivent être faites, au travers de nos engagements militants, politiques, humanitaires, ecclésiaux.

Les histoires que racontent nos Bibles ne nous offriront pas de solutions toutes faites pour élaborer un nouveau monde du travail. Mais puisqu’elles font appel à notre intelligence, à notre créativité et qu’elles nous ouvrent à des horizons plus larges, elles sauront inspirer nos actions, au quotidien, dans notre métier, dans notre retraite, dans nos loisirs, dans l’intimité de nos vies.

Lorsque nous nous engageons à rendre concrètes les valeurs de l’évangile, à « venir en aide à nos frères dans le besoin, à pratiquer l’hospitalité » comme le dit Paul dans sa lettre aux Romains, nous ne recevons pas de contrepartie, nous n’en tirons pas d’avantages matériels en retour. Nous n’en n’obtenons même pas une identité qui ferait de nous des serviteurs un peu plus que « quelconques » !

Nous faisons ce que nous avons à faire pour répondre à notre conviction qu’en tant qu’êtres humains, la responsabilité de prendre soin de notre monde et de nos semblables est un travail que nous confie ce Dieu dont nous nous réclamons.

Par nos mains et par nos mots, ce sont bien des personnes, des individus qui retrouvent valeur et dignité.

Parce que nos mains et nos mots témoignent de notre foi en un Dieu qui ne justifie pas les compétences, les réussites, ou la capacité de production, mais qui justifie bien des personnes, des individus qui méritent une vie reconnue, replacée au milieu du monde.

Pour le patron, le chômeur, la retraitée, la mère au foyer, la personne « au social », pour nos frères, pour nos sœurs, travaillons à rendre l’amour sincère ! Travaillons à cultiver l’affection ! Mettons du zèle à nous respecter les uns les autres !

En retour de cet engagement humain, la seule chose que risquons de gagner, c’est le bonheur de voir ainsi advenir un peu plus de justice, de bonté et d’espérance.

Et mettre un peu de bonheur dans la vie de nos semblables n’est jamais, jamais inutile !

Amen

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