Outre le noir

Méditation pour le temps de l’Avent proposée à l’occasion des Chemins de l’Avent de la paroisse de St-Imier, sur le thème « Un soir, un tableau ». À partir de l’oeuvre de Pierre Soulages, Peinture 181×244, 2 mai 2011

Au commencement, la parole existait déjà. La parole était avec Dieu et la parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle, il y avait la vie, et cette vie était la lumière des êtres humains.

Évangile de Jean, chapitre 1, versets 1-5

Du noir pour dire la lumière

Ce soir, pour dire la lumière, une toile de Pierre Soulages envahie par la seule couleur noire. Ce noir avec lequel le peintre a appris à jouer pour conter une histoire qui nous est étrangement familière…

Histoire d’ombres et de lumières, de finitude et d’espérance.

Une histoire humaine universelle, et tout autant de récits de vie particuliers. Puisque tout œuvre ne se limite jamais à ce qu’elle est, ni à celui qui l’a produite, mais qu’elle est faite aussi de celui qui la regarde.

Oserons-nous nous aventurer dans le noir ce soir ? J’espère bien !

Noir…

Il n’est probablement pas de meilleur moment que l’hiver et ses journées sombres pour parler du noir qu’il fait.

Noir. Couleur froide de la nuit. Le noir raconte l’obscurité avec les peurs qui y sont tapies et les dangers qui guettent. Une obscurité qui nous touche parfois jusque dans notre propre chaire.

Noir. Couleur du deuil, de la tristesse. Couleur qui raconte l’avenir bouché, le manque de perspectives. Noir de douleur. « Broyer du noir » dit l’expression populaire, pour dire toute la dureté et l’amertume qui peuvent nous consumer parfois.

Noir. Couleur qui raconte le sérieux, qui dit l’austérité aussi – une couleur bien protestante qui habille encore les pasteurs aujourd’hui!

Noir. Couleur de ce qui est mauvais, des méchants de nos contes de fées et dessins animés.

Au mieux d’un ennui profond, au pire, pesante, oppressante, la couleur noire ne mériterait même pas d’être appelée « couleur » ! En effet, la particularité de toutes les autres couleurs, c’est qu’elles sont des reflets de la lumière… sauf le noir.

Le noir, c’est l’absence de lumière.

Outre le noir

Avec ses œuvres souvent en très grand format, Soulages ne laisse pas au spectateur d’autre choix que de regarder le noir en face… jusqu’à ce que notre regard aille au-delà du noir, passe outre le noir…

Il y a alors tant à voir !  Nos yeux ne se lassent pas de découvrir un détail et puis un autre. Rien n’est uniforme. Des perspectives, des contrastes de matière se jouent de nos coups d’œil. En se déplaçant un peu, en changeant de point de vue, une nouvelle histoire se donne à lire, c’est presque une nouvelle œuvre qui s’offre au spectateur. Pourtant, c’est noir.

Au-delà du noir, il y a tant à interpréter et à ressentir ! Évidemment, devant la toile abstraite, c’est l’imagination de chacune et chacun qui se met en marche, c’est aussi l’histoire toute personnelle, la réalité présente du spectateur qui construit l’histoire, encore et encore, qui donne vie à la toile !  Mais quel que soit le récit personnel que chacun de nous lira dans cette « peinture sans parole », face à tant d’immensité et d’intensité, nous voici toutes et tous bien obligés de regarder vraiment ce que nous avons devant les yeux et ne pas en rester à ce que nous avons déjà figé dans nos têtes !  (d’après Soulages).

Peut-être serez-vous aussi frappés que moi de voir outre le noir une peinture dynamique presque industrielle, un peu rude, mais qui vibre de subtilités cachées, changeantes…

Subtilités qui viennent titiller nos émotions…

C’est sombre, mais pas triste.
Imposant, mais pas effrayant.
Il y a comme une chaleur se dégage du tableau… un peu comme si nous étions à la maison dans la toile de Soulages.

À la maison et en voyage en même temps ! Les lignes sont droites, mais on dirait que les chemins creusés comme des sillons ondulent à travers la toile. Rien ne reste figé très longtemps, notre regard est sans cesse invité à se poser ailleurs.

Tout est noir… mais pas vraiment ! Il y a autre chose… qui selon où on se place nous éblouit presque, comme le soleil se reflétant sur la neige. Le noir ne prend pas toute la place. Ce n’est pas lui qui définit l’espace immense de cette toile. Non. C’est la lumière qui se reflète sur les aspérités, qui définit la forme, les contours, les chemins. Le noir laisse à la lumière la place de se refléter. Et c’est la lumière qui écrit l’histoire en couleurs et nuances et en souligne ses noirceurs d’un rayon éclairé.

Au-delà du noir de cette toile, je lis un chemin d’aventure et de renouvellement possible. Je lis dans les sillons creusés pour que la lumière vienne s’y accrocher l’assurance d’une présence rigoureusement fidèle. Je lis dans les saillies de la toile les reliefs d’une promesse qu’autre chose que la seule et définitive noirceur est réalité possible.

Nous contons chacune et chacun un récit particulier outre le noir des toiles de Soulages. Voici ici un peu de l’histoire du peintre, avec les mots qu’Emmanuel Macron a prononcé à ses obsèques en novembre dernier :

« En 1979, alors que Soulages s’acharne sur un tableau qui lui résiste, le noir finit par envahir toute la surface. Il abandonne et croit l’œuvre perdue. En réalité, il vient de la trouver. L’œuvre de sa vie. Car en revenant à son travail quelques heures plus tard, il prend conscience de toutes les nuances de noir que la lumière fait chatoyer sur sa toile, y révélant des effets de volume, de matière, de texture. Ce fut sa leçon de ténèbres, la révélation de son voyage au bout de la nuit. Le noir avait triomphé et la lumière fut. La Genèse raconte la séparation de la lumière et de l’obscurité. SOULAGES montra qu’il restait de l’une dans l’autre. »

Prière

Pierre Soulages a su réinventer le noir, en y faisant jaillir la lumière.
Son œuvre résonne comme une invitation à regarder réellement, à oser s’aventurer au-delà de l’immédiat.
Par-delà le noir.

Puisons dans ses métaphores vives l’espérance de notre prière :

Je porte le noir de deuil d’une terre qui va mal.
Et j’espère des présences courageuses pour changer le monde !

Je porte le noir de deuil d’une humanité trop souvent reniée ou bafouée.
Et j’espère assez de tendresse pour mettre bien plus de lumière et de joie dans la vie de chacune et chacun !

Je porte le noir de deuil de mes aspirations, de mes échecs, de mes rendez-vous manqués.
Et j’espère assez de courage pour oser m’aventurer outre le noir.

J’espère assez de lucidité pour ne pas fermer les yeux sur les zones d’ombres.
J’espère assez d’intelligence pour comprendre que les outils qui permettront de sculpter, façonner et réinventer la noirceur du monde pour y laisser la lumière s’y refléter sont entre mes mains.

Je crois que des possibles et prometteurs lendemains adviendront par moi aussi.

Portée par l’espérance que le noir laisse toujours une place à la lumière d’exister,
Je choisis d’écrire mon histoire humaine
Avec responsabilité, sens des réalités et imagination foisonnante !

Envoi

Tandis que l’hiver et la nuit enveloppent le monde,
Voici qu’une étoile monte au ciel de l’Orient.
Voici qu’approche l’heure où la grâce prend corps et cœur dans nos vies !

Puisse cette grâce éclairer nos existences humaines !
Puisse-t-elle faire de nous des témoins porteurs d’une lumineuse espérance !

Amen

Source image
https://www.artshebdomedias.com/article/180512-pierre-soulages-lausanne-le-noir-transmute/

Pour aller à la rencontre de Pierre Soulages…

https://www.arte.tv/fr/videos/073080-000-A/pierre-soulages/

4 réponses sur “Outre le noir”

  1. Merci, Laure, de ta méditation qui me rappelle que Soulages a été au cœur d’une cérémonie d’adieux que j’ai célébrée et qui a débouché sur une amitié sincère. Alors, oui et oui encore, du noir peut naître la lumière. Et la noirceur du deuil peut fertiliser la vie présente et à venir.
    Belles fêtes à toi.

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