Esprit, es-tu là ?

Prédication du dimanche de Pentecôte 19 mai 2024 à l’église du Pasquart à Bienne.
Lecture biblique: Actes des apôtres 2, 1-13

Distinctement, le jour de la fête de la Pentecôte racontée dans le texte biblique, les apôtres, l’ont bien senti arriver, l’esprit ! De manière tonitruante et décoiffante ! Une extraordinaire manifestation de puissance divine pour annoncer une bonne nouvelle : désormais, ils vivront remplis de l’Esprit de Dieu…

Et bien si seulement il nous était une fois donné à nous aussi de vivre quelques chose d’aussi ébouriffant ! Si une bonne nouvelle pouvait nous être annoncée à tous à coup d’extraordinaire, ne serions-nous pas preneurs ? Cela ne redonnerait-il pas de la vie à nos esprits moroses et parfois découragés ?

Grand bruit, vent violent, langues de feu, une telle force de manifestation de l’esprit – auditive et visuelle – pour dire tout le sens et l’ampleur que prendront désormais la prédication de Jésus de Nazareth : à coup sûr, cela pourrait nous conforter dans notre foi, nous réjouir et nous remotiver !

Esprit de fête, es-tu là?

Sérieusement, si nous devions être témoins d’un tel événement, au lieu de nous en réjouir, nous serions d’abord surpris – à juste titre, nous serions bien perplexes, nous rejetterions certainement très vite la probabilité de l’événement, et avec un peu de dédain et une prompte capacité à juger les autres, nous dirions : « Ha, encore une histoire de comptoir ! »

Peut-être ai-je l’esprit un peu chagrin et désabusé ce matin… Pourtant, la question de savoir comment nous sommes capables d’accueillir une bonne nouvelle se pose. Esprit de fête, es-tu là ?

Il y a une semaine, la Suisse a gagné le Concours Eurovision de la chanson. Voilà une bonne nouvelle, une sacrée nouvelle… qui relève presque de l’ordre du miracle ! Je répète : la Suisse a gagné le Concours Eurovision de la chanson, qui plus est grâce à Nemo, une jeune artiste, biennois !

Mais depuis une semaine pourtant, les critiques pleuvent de tous côtés : sans doute, l’expression sonore et visuelle de la prestation en aura décoiffé un certain nombre en brisant au passage quelques codes. À n’en pas douter, quelqu’un de plus consensuel, de plus neutrement représentatif de la Suisse aurait été un meilleur choix… comme s’il n’y avait qu’une manière juste et unique, une uniformité de pensée et d’action pour dire l’appartenance à un pays, à une culture ou une croyance.

Et ne nous étendons même pas sur les « c’était mieux avant ». Pour rappel, en 1965, un certain Serge Gainsbourg, se fait huer par les musiciens de l’Eurovision, car la chanson qu’il a écrite pour France Gall était scandaleuse, un « OVNI de modernité » !

Ce détour par l’Eurovision pour questionner, en ce jour de fête, notre capacité à repérer, savourer et fêter l’extraordinaire, les bonnes nouvelles inattendues !

Les fêtes rythment la vie d’à peu près toutes les cultures, civilisations ou religions. La fête n’est pas une fuite de la réalité, mais un moment à part qui permet de faire – ensemble – une pause, reprendre de la force et de la motivation pour repartir dans la routine de la vie. La fête est une manière aussi de témoigner reconnaissance et gratitude, comme notre Pentecôte aujourd’hui.

Esprit, es-tu là ?

Esprit, es-tu là… À tendre l’oreille, pas de manifestation fracassante ici! Mais notre esprit de curiosité est assez aguerri maintenant pour savoir que dans les textes de la Bible, le grandiose est en général au service d’autre chose que de la description du déroulement de l’événement. Un bouleversement cosmique sert généralement à nous signifier plus que l’événement lui-même :  il sert à bousculer, à mettre en mouvement les personnes présentes…  les apôtres, les étrangers rassemblés à Jérusalem et nous, lecteurs, lectrices de l’évangile.

L’histoire de la Pentecôte, telle qu’elle est rapportée dans le livre des Actes des Apôtres parle donc d’un miracle mettant en scène des éléments naturels. Les métaphores du vent et du feu pour parler de l’esprit traversent les évangiles. Le vent peut évoquer la liberté de l’esprit qui ne peut être enfermé. Le feu peut évoquer la chaleur, le réconfort, que l’esprit procure.
Ici, ces éléments annoncent un autre événement miraculeux : les disciples, sous l’impulsion de l’esprit, se mettent à parler d’autres langues que la leur. Et les nombreux juifs présents à Jérusalem pour la fête de la Pentecôte – fête du don de la loi au Sinaï – et qui ne parlaient pas nécessairement l’araméen, l’hébreu ou le grec, voilà qu’ils comprennent tout à coup les paroles des apôtres. Ils les comprennent car ils les entendent dans leur propre langue.
Les disciples ne sont en effet pas en train de s’exprimer dans un même charabia extatique, ils ne parlent pas une seule langue, un « espéranto » que tous comprendraient, non. Ils parlent des langues différentes, adaptées à chaque peuple et culture présents. Des langues comprises par ceux qui entendent. Et ceux qui reçoivent leurs paroles, les reçoivent dans leur langue maternelle, la langue qui nous appelle à la vie, celle qui nous a appris à nommer les choses et à comprendre le monde.

Le miracle de Pentecôte est peut-être bien le miracle de la communication. Le miracle de la parole, le miracle de l’écoute.

Quand des personnes devenues étrangères l’une pour l’autre se parlent et se comprennent de nouveau, c’est peut-être bien un miracle. Quand des voisins qui se sont ignorés pendant des années, se souhaitent un beau matin « bonne journée », c’est un miracle. Quand dans une relation, la rancœur et l’animosité laissent la place à la fraternisation et à la réconciliation, c’est un miracle. Sortir de nos dialogues de sourds, renouer la communication les personnes avec qui nous ne nous entendons pas – c’est-à-dire que nous ne comprenons pas ou qui ne nous comprennent pas, qui nous laissent indifférentes et vice et versa – cela relève à chaque fois du miracle.

Des miracles tout discrets et peut-être anecdotiques, mais dont l’effet – même s’il ne s’agit pas de flammes visibles sur nos têtes – est totalement vivifiant et rudement bienfaisant, et surtout redonne tout son sens à la vie !

Ces miracles adviennent par nous, par nos manières d’êtres aux autres, inspirées par ces paroles dont nous avons la conviction qu’elles nous ont d’abord été adressées dans notre langue maternelle, dans la langue de notre intimité première, dans la langue par laquelle nous avons reçu l’appel à l’existence, à la confiance, à la joie.

Esprit, tu es là !

Esprit, tu es là! Précisément dans l’expérience de la vie avec l’autre, dans la relation, chaque fois que quelque chose se partage.

À partir de la Pentecôte des apôtres, nous comprenons que l’esprit revêt une dimension sociale, il a une exigence communautaire, il crée une solidarité. L’esprit donne de la perspective à nos existences humaines. Tantôt créatif, critique, festif, rationnel, consolateur ou incrédule, l’esprit nous apprend un langage universel – et pas une langue unique, consensuelle ou totalitaire – un langage, un projet universel qui nous donne toute liberté de transformer nos esprits de clocher en esprit de corps, et de retrouver le sens commun.

Rassembler et réconcilier l’humanité en commençant à notre porte, dans la diversité de ce que nous sommes, voici le message et la promesse témoignée à travers le miracle de la Pentecôte.

Miracle de la communication – et d’un gracieuse poésie aussi – car ici l’indicible se trouve exprimé dans toute sa simplicité et sa radicalité : les mots tendres d’un Dieu qui parle le langage humain et notre langue maternelle pour dire à chacune et chacun « tu es mon enfant, je t’aime »

Amen

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