Noël, drôle d’histoire de famille… n’est-ce pas Joseph ?

Prédication du matin de Noël, prononcée le 25 décembre 2024 en l‘église du Pasquart à Bienne.
Lecture biblique: évangile de Matthieu, chapitre 1,18-25 et chapitre 2,1-23

Noël, encore et toujours une histoire de famille… que nous pourrions résumer – à la lecture de l’évangile du jour – par cette formule : pour le meilleur et pour le pire !
Ce n’est pas Joseph qui nous contredira !
D’ailleurs, s’il a inspiré la prédication de ce matin, c’est aussi à cause d’une histoire de famille, la mienne, et celle de ma maman qui nous faisait écouter des 33 tours de Georges Moustaki, qui à propos de Joseph chante ceci :

« Parfois je pense à toi, Joseph, mon pauvre ami,
Lorsque l’on rit de toi
Qui n’avais demandé
Qu’à vivre heureux avec Marie »

Pour le meilleur ?

Oui, pauvre Joseph !
Voici un homme ordinaire, aspirant à une vie de famille simple avec la femme qu’il aime. Il imaginait probablement un foyer paisible, avec des enfants à qui il apprendrait son métier, comme lui l’avait appris de son propre père.
Au final, il se retrouve à élever un enfant qui n’est pas le sien, il n’a même pas voix au chapitre pour le choix du prénom. Il doit tout abandonner, laisser derrière lui sa maison et les siens pour fuir dans un pays étranger.
Et pour couronner le tout, il ne mérite que deux chapitres de l’évangile de Matthieu, pas plus !

Bien sûr, Joseph est un personnage littéraire, mis en scène par les évangélistes pour donner corps à un projet théologique. Par Joseph, l’auteur ici cherche à inscrire Jésus-Christ dans l’histoire juive et à confesser qu’il est bien le messie annoncé par l’Ancien Testament. Matthieu le présente d’ailleurs non seulement comme un descendant du patriarche Joseph, celui des songes dans la Genèse, et il lui construit aussi une vie étrangement similaire à celle du personnage de l’Ancien Testament : pour insister sur la continuité, sur l’héritage qui se transmet de génération en génération.

Noël, encore et toujours une histoire de famille, vous disais-je.

Revenons à notre Joseph, qui comme tout héros de fiction, prend vie dans nos compréhensions et nos interprétations, et nous interpelle peut-être même au-delà des intentions de l’auteur.

« Voilà c’que c’est, mon vieux Joseph
Que d’avoir pris la plus jolie
Parmi les filles de Galilée
Celle qu’on appelait Marie

Tu aurais pu, mon vieux Joseph Prendre Sarah ou Déborah
Et rien ne serait arrivé
Mais tu as préféré Marie. »

Embarqué dans une histoire qui le dépasse, Joseph semble subir plus qu’il ne choisit.
Un sentiment qui nous est bien familier, non ? Et dans ces moments, nous nous demandons : comment avoir ou garder prise sur les événements qui surgissent ?
Il est peut-être plus pertinent de nous poser la question : comment pourrions-nous réagir face aux événements sur lesquels nous n’avons justement pas prise? Ces événements, comme ceux que Joseph a connu…

Joseph était donc fiancé à Marie et voilà qu’elle est enceinte. Il est le mieux placé pour savoir qu’il n’est pas le père, n’ayant pas eu de relations intimes avec elle. Selon la loi juive, il devrait la répudier publiquement, la condamnant ainsi à la mort par lapidation.
Profondément enraciné dans la tradition juive — comme le souligne la généalogie au début de l’évangile de Matthieu, où Joseph est présenté comme héritier de l’Alliance conclue par Dieu avec Abraham, Isaac et Jacob, et descendant de David — Joseph n’apparaît pourtant pas comme un homme rigide. Lorsqu’il découvre la situation de Marie, il décide de la répudier en secret afin de lui épargner la honte et peut-être même la mort.

Était-ce par amour aveugle pour elle ou parce qu’il comprenait, au-delà de la lettre, l’esprit de la Loi, qui cherche avant tout à préserver la vie ? Je laisse cela à vos interprétations…

Toujours est-il que Joseph choisit d’épargner Marie et l’enfant.
Il semblerait cependant que l’affaire le travaille au point d’en perdre le sommeil. Un rêve vient le bouleverser :

« Ne crains pas. N’aie pas peur. » Lui dit l’ange qui lui apparaît en songe.

Mais au fait, de quoi pourrait-il avoir peur ? Du déshonneur ? De violer les conventions ? Peur de cet enfant dont il n’est pas le père biologique ? Qu’a-t-il réellement à craindre ?
Et si, contre toute attente, tout se passait bien ? Et si c’était l’occasion d’enfin fonder cette famille qu’il désirait si ardemment ?

Il a tant à offrir à un enfant : un foyer, une identité, un héritage, un avenir. Quelle plus belle promesse peut-on faire à un enfant pour démarrer dans la vie ? Ce que l’Évangile met en lumière à travers l’attitude de Joseph résonne étonnamment avec ce que nous considérons aujourd’hui comme les besoins fondamentaux de l’enfant : amour et attachement, acceptation et reconnaissance, confiance et joie. Pour reprendre la description qu’en fait l’association de la Protection de l’Enfance en Suisse.

Joseph avait tout cela à offrir. Avec courage, foi et confiance, il dit oui à Marie, il dit oui à un projet de vie, certes pas conventionnel, un peu inattendu… Heureux Joseph ! Tu as osé croire en tes rêves et les réaliser !

Ou pour le pire ?

L’histoire de famille aurait pu s’arrêter là. Pour le meilleur.
C’est pourtant le pire qui advient : la vie menacée. L’exil forcé.
Face à l’adversité, Joseph protège les siens.

« Tu aurais pu, mon vieux Joseph
Rester chez toi, tailler ton bois
Plutôt que d’aller t’exiler
Et te cacher avec Marie. »

Ce passage de l’évangile de Matthieu est franchement remuant, tellement il est criant d’actualité. Ne ressentez-vous pas à sa lecture le même mélange d’émotions, d’indignation et de colère qu’en lisant l’actualité des guerres et des massacres ? La fuite de Joseph, Marie et l’enfant nous renvoie abruptement à la condition de nombreux exilés contraints de quitter leur foyer pour survivre.
Ces civils anonymes qui n’aspiraient qu’à mener une vie de famille simple, chez eux, entourés de leurs proches. Et pourtant tant de Rachel pleurent leurs enfants et ne peuvent être consolées.

« Tu aurais pu, mon vieux Joseph
Faire des petits avec Marie
Et leur apprendre ton métier
Comme ton père te l’avait appris
Pourquoi a-t-il fallu, Joseph
Que ton enfant, cet innocent Ait eu ces étranges idées
Qui ont tant fait pleurer Marie ? »

Pour ce qui compte

L’évangile ne fournit aucune justification à ces souffrances injustifiables, ni à celles de hier ni à celle d’aujourd’hui. Noël n’efface pas le pire de l’histoire humaine. L’évangile de Noël ouvre juste une brèche : aujourd’hui est né Emmanuel, Dieu avec nous.

Affirmer cela n’est pas nier le pire, ni fuire le sombre de la réalité. C’est juste croire à une promesse – qui nous est adressée comme à un enfant qui voit le jour – de recevoir ce qu’il faut pour traverser l’adversité et avancer vers la vie.

Quel que soit notre âge, notre parcours de vie ou notre histoire de famille, nous avons besoin pour grandir encore en humanité d’amour, d’attachement, d’acceptation et de reconnaissance, de confiance, de place pour la joie et le jeu.

L’évangile de Noël, encore et toujours une histoire de famille : celle dans laquelle ces besoins peuvent être comblés. L’histoire d’une famille qui bien au-delà des liens biologiques se choisit, se construit, s’élargit.

Tout comme Joseph, nous avons beaucoup à offrir à celui ou celle de nos semblables que nous adoptons dans notre famille. Comme lui, nous pouvons dire oui à l’autre, oser la rencontre, risquer la vie avec l’autre plutôt que de le regarder de loin.

Parce que nous avons d’abord tout reçu en héritage.

Comme Joseph, nous avons des convictions, et nous essayons de mener notre vie au plus proche des valeurs qui importent.
Nous savons d’où nous venons, et nous pouvons envisager un avenir.
Comme Joseph, nous savons nous réjouir de ce qui nous est donné de vivre, comme Joseph nous avons un destin à jouer.

Parfois je pense à toi mon vieux Joseph… et je ris ! Je ris parce que grâce à toi, l’homme ordinaire qui ne demandais qu’à vivre heureux avec Marie et qui as su remuer ciel et terre pour les tiens, le monde apparaît plus lumineux en ce matin de Noël !

Alléluia ! Amen

Écouter « Joseph » de Georges Moustaki

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *